lundi 6 octobre 2014

Les premiers drones américains en 1944

Le 12 août 1944, le Lt Joseph Kennedy, frère aîné de John qui fut président des Etats-Unis,  décolle à 17 h 52 à bord d'un BQ-8 (B-24 Liberator modifié) avec son co-pilote, le Lt Wilford Willy.
Joseph s’était porté volontaire pour cette mission expérimentale et très dangereuse. Le but était d'envoyer un bombardier télécommandé, un drone, s'écraser avec une importante charge explosive contre une installation fortifiée allemande située à Mimoyecques (Calais) destinée à abriter un canon spécial : le V3 dont nous parlons par ailleurs dans cet article.

Le Lt Joseph Kennedy

Le Lt Wilford WILLY
Le problème est que le décollage de ce BQ-8, qui est un fait un des premiers drones bombardiers, doit être effectué par un pilote et un copilote qui sautent ensuite en parachute au dessus de l'Angleterre. Vers 18 h 20, alors qu'ils se préparent à évacuer l'appareil comme prévu, le BQ-8 transformé en bombe volante (il transporte environ 11000 kg d’explosifs), explose au-dessus de Blythburgh (Angleterre) ne laissant aucune chance de survie au deux membres d’équipage.

Voici quelques explications sur les premiers drones américains et le canon allemand V3

L’origine des drones de bombardement américains
Les nazis pensaient que les sites de lancement des fusées V2 et des canons V3 situés dans le Pas de Calais pouvaient être à l’abri des bombardiers alliés en plaçant ces armes spéciales dans des abris fortifiés en béton et en acier renforcé.

Les avions de reconnaissance alliés avaient repéré ces constructions massives et le Quartier Général des forces aériennes avait ordonné de vastes campagnes  de bombardent de ces sites. Ces raids perturbaient beaucoup les constructions, mais les Etats Majors pensaient qu’ils ne pouvaient pas garantir la destruction efficace de ces souterrains fortifiés. De plus, ces sites étaient protégés par une défense antiaérienne très efficace. Au moment de la mort du Lt Kennedy, beaucoup d’avions alliés avaient été perdus lors de l’attaque des différents sites de lancement des armes V.

Au printemps 1944, le lieutenant-général James Doolittle, commandant de la 8e Air Force,
avait ordonné une étude conjointe de l’Air Force et de la Navy au sujet de l’utilisation de vieux bombardiers sans pilotes. Ces bombardiers transporteraient une grande quantité d’explosifs capables de détruire ces fortifications résistant aux bombes conventionnelles.

La collaboration de la Navy était essentielle à ce programme, car elle avait beaucoup plus d'expérience concernant les drones. En effet, au début de guerre, la Navy avait commencé la  formation des artilleurs antiaériens avec des avions cibles sans pilotes.

L’Air Force livra quelques vieux B-17 et la Navy prépara de vieux PBY4-1, la version Navy du B-24D. Une fois modifiés avec un équipement de drone, ces BQ-7 (B-17 drone) et BQ-8 (B-24 drone) devaient être pilotés à distance par un « avion mère », appelé CQ-17, et être dirigés sur une cible. L’opérateur situé dans le CQ-17 serait assisté par des caméras de télévision installées dans l’habitacle du drone fournissant une vue des instruments de bord et du sol. De plus, un générateur de fumée serait placé sous le fuselage afin de permettre à l’opérateur de le suivre des yeux.

Néanmoins, un équipage humain devait piloter manuellement l'avion jusqu’à une altitude minimale de 2000 pieds et un cap déterminé afin que, suite à une panne éventuelle du contrôle à distance, le drone ne puisse pas aller dévaster des installations militaires ou civiles en Angleterre.

Le général Doolittle approuva ce plan le 26 juin 1944, et assigna la 3e  Division de bombardement à la préparation et aux tests des premiers drones BQ-7. La phase finale de préparation fut attribuée au 562e Squadron de bombardement sur la base de la RAF à Honington dans le comté du Suffolk (Angleterre).

Le plan Doolittle reçut deux appellations : « Aphrodite » pour l’Air Force et « Anvil » pour la Navy. Ces opérations représentaient le mariage de l’expérience de la Navy et des progrès de RCA en télévision.

En vue de leur mission finale, les drones furent dépouillés de tout leur armement et aussi de toute autre masse non essentielle (blindage, supports de bombe, émetteur-récepteur, sièges, etc.), ce qui réduisit la masse du bombardier d'environ 12 000 livres (6 500 kg).
Les avions dépouillés furent ensuite équipés d'un système de téléguidage.

Ils furent chargés avec  8200 kg d’explosifs. (11000kg dans le cas du BQ-8 du Lt Kennedy) Ainsi en théorie, l'explosion résultante serait colossale et ce, dans un rayon d'au moins 6 miles (10 km).

Un BQ-7 (B-17 drone). On remarque l’absence de l’armement habituel : tourelles dorsale, ventrale et arrière ainsi que la mitrailleuse latérale. Le générateur de fumée est visible sous le fuselage près de la roue droite.
La verrière de certains BQ-7 fut enlevée afin de faciliter l’éjection des pilotes
Le premier des 14 raids « Aphrodite » eut lieu le 04 août 1944. Leur description dépasse le cadre de cet article, disons simplement qu’un seul drone tomba suffisamment près de la cible pour occasionner des dégâts.

Le premier et tragique raid « Anvil» fut celui du Lt Kennedy avec le site de Mimoyecques comme objectif.
Un deuxième raid, effectué le 3 septembre 1944, provoqua quelques dégâts aux installations ennemies de l’île de Heligoland, mais rata son objectif principal à cause de la mauvaise réception de télévision.
Les raids « Anvil » furent alors abandonnés.

L'échec des programmes «Aphrodite» et «Anvil» a été attribué à un manque de technologies disponibles et au fait que le réarrangement des masses des drones entraînait des comportements de vol différents de ceux des avions originaux.

Notons  que les bombardements traditionnels avaient empêché l’achèvement du site
V3 de Mimoyecques, surtout grâce à la bombe anglaise «Tallboy». L’une de ces bombes pénétra jusqu’à une profondeur de 28 mètres et causa des dégâts considérables. Les observateurs de bombardement, ne voyant que peu ou pas d’effet en surface, déclarèrent « effet nul » dans leur rapport. C’est ainsi que la mission du Lt Kennedy, en réalité devenue inutile, fut quand même mise sur pied.

La bombe Tallboy pesait cinq tonnes et était lancée depuis les bombardiers Avro Lancaster.
Elle fit la preuve de son efficacité contre les structures lourdes comme les blockhaus, là où toutes les bombes plus petites avaient échoué. Sa première utilisation au combat a lieu le 9 juin 1944 lors d'un raid contre un tunnel ferroviaire à Saumur en France qui fut bloqué pendant une très longue période.


Une bombe Tallboy

Les allemands utilisèrent aussi une version de drone appelée « Mistel »

Dans ce cas deux avions étaient solidarisés par des entretoises. A proximité de l’objectif, le « chasseur » larguait le bombardier et le guidait vers la cible.  Dans ce cas, le guidage n’était pas assisté par la télévision.
Tout comme les drones américains, les « Mistels » ne connurent que des succès marginaux.

Des militaires américains examinent un « Mistel » constitué d’un chasseur FW-190 et d’un bombardier Ju-88

Le canon V3

Comme le V1 et le V2, le canon V3 constituait une arme de représailles de la part du Troisième Reich à l'encontre de l'Angleterre. Le nom de code était « Hochdruckpumpe » (Pompe à haute pression).

En fait, il s'agissait d'un canon à chambres multiples. Le projectile était du type obus flèche. Le long du canon, étaient disposées trente-deux chambres auxiliaires qui donnaient un surcroît de poussée au projectile.

Au passage des chambres auxiliaires, les charges supplémentaires additionnelles étaient mises à feu, soit par auto-inflammation due à la température des gaz, soit par allumage électrique, pour produire une poussée supplémentaire amplifiant la vitesse de l'obus et ainsi de suite au passage de chaque paire de chambres pendant la progression de l'obus dans l'âme du canon, accroissant à chaque fois un peu plus sa vitesse, et ainsi de suite sur les trente-deux chambres de combustion.

Schéma montrant 8 chambres auxiliaires.
(Dans les versions expérimentales, les chambres étaient perpendiculaires au canon)
Vue d’une version expérimentale
Les Allemands avaient prévu une vitesse initiale de 1 500 m/s et une distance de tir utile de l'ordre de 160 km. L'obus faisait environ 140 kg pour une longueur de quelque 3 mètres.

Un exemple d’obus V3
Le premier site de lancement fut construit à la forteresse de Mimoyecques sur la commune de Landrethun-le-Nord en France à 8 km des côtes de la Manche et à 160 km de Londres, la première cible.

Cinq batteries de cinq canons faisant chacun près de 130 mètres de long devaient être construites sous terre. Dans un premier temps les Allemands creusèrent des galeries puis les tunnels de tir sur plusieurs étages. L'étage le plus haut était à 30 mètres sous la surface de la terre, le second à près de 100 mètres sous la surface. Une protection de 5 mètres d'épaisseur en béton armé devait protéger les bouches des canons.

Coupe schématique du site de Mimoyecques. Le canon monte en oblique vers la surface
Sources :
- Wikipedia
- Smithsonian National Air and Space Museum
- http://histaero.blogspot.be/2013/08/projet-aphrodite.html